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RICHARD III.

RICHARD.

— Ah ! c’est qu’à leur naissance les bonnes étoiles étaient opposées.

LA REINE ÉLISABETH.

— Non, c’est qu’à leur vie de mauvais parents étaient contraires.

RICHARD.

— L’arrêt de la destinée est irrésistible.

LA REINE ÉLISABETH.

— Surtout quand la résistance à toute pitié hâte cet arrêt. — Mes enfants étaient destinés à une mort meilleure, — si la pitié t’avait fait la grâce d’une meilleure vie.

RICHARD.

— Vous parlez comme si j’avais tué mes neveux.

LA REINE ÉLISABETH.

— Tes neveux ! c’est bien leur oncle qui leur a tout volé, — bonheur, couronne, famille, liberté et vie ! — Quel que soit le bras qui a percé leur tendres cœurs, — c’est ta tête qui indirectement l’a dirigé. — Sans doute le couteau meurtrier eût été émoussé et obtus, — s’il n’avait été repassé sur ton cœur de pierre — pour jouer dans les entrailles de mes agneaux. — Ah ! si l’habitude de la douleur n’apprivoisait la plus farouche douleur, — ma langue ne cesserait de te jeter aux oreilles le nom de mes enfants — que quand mes ongles seraient ancrés dans tes yeux, — et quand moi-même, touchant à ce port désespéré de la mort, — pauvre barque, privée de voiles et d’agrès, — je me serais brisée toute sur ton cœur de roc (63) !

RICHARD.

— Madame, puissé-je être aussi heureux dans mon entreprise — et dans les périlleux hasards de la guerre — que je suis sincère en vous promettant, à vous et aux vôtres — plus de bien que je ne vous ai fait de mal !