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NOTES.

riques, telles que l’Angleterre, qu’il appelait la Veuve, la Majesté impériale, à laquelle il donnait la couronne après la mort du roi, la Noblesse, le Clergé, l’Ordre civil, la Trahison, la Vérité et, enfin, la Sédition, qui était le bouffon de la farce.

Au Roi Jean de John Bale succéda sur la scène un second Roi Jean, qui fut imprimé en 1591 sous ce titre intéressant : Le Règne tumultueux de Jean, roi d’Angleterre, avec la découverte du fils naturel de Richard Cœur de Lion, vulgairement nommé le Bâtard Faulconbridge, et aussi la mort du roi Jean à Swinshead Abbey. L’auteur de cette nouvelle pièce s’était évidemment inspiré de l’œuvre de Bale : il lui avait emprunté des scènes et parfois même des mots. Mais, en revanche, il avait supprimé sans pitié toutes les créations allégoriques de son prédécesseur, et il les avait remplacées par des personnages historiques, chargés de figurer dans des situations nouvelles. Ces personnages s’appelaient Arthur, Constance, Hubert, Philippe-Auguste, Blanche de Castille. C’est qu’en effet le plan de la pièce imprimée en 1591 était beaucoup plus vaste que le scénario primitif. Tout en conservant sur la scène les incidents relatifs à la lutte du roi Jean contre la cour de Rome, l’auteur avait fait entrer dans l’action le meurtre d’Arthur de Bretagne, et, restituant au drame son unité véritable, avait présenté la mort douloureuse du roi Jean comme le châtiment mérité de ce meurtre.

La pièce de 1591 est anonyme. De qui est-elle l’œuvre ? Grave problème littéraire que les commentateurs ont jusqu’ici vainement essayé de résoudre. La critique anglaise l’a attribué successivement à Greene, à Peele et à Rowley ; mais la critique allemande l’a attribuée à Shakespeare lui-même. Quant à moi, s’il m’était permis d’exprimer ici mon sentiment, après une étude approfondie de la question, je n’hésiterais pas à dire que je partage l’opinion de Tieck et de Schlegel. Certes, on peut reprocher de graves défauts à cette vieille pièce, la coupe monotone et le prosaïsme des vers, la faiblesse du dialogue, l’enflure et l’affectation souvent puérile de la forme, etc. ; mais ces défauts-là, un homme de talent qui commence peut les avoir. Corneille les a eus avant et même après le Cid. Quelque défectueuse qu’elle soit, la pièce imprimée en 1591 est remarquable à plus d’un titre. Composée, sans doute, vers 1588, après la mort de Marie Stuart, au moment où l’invasion menaçait l’Angleterre, elle est certainement supérieure aux productions dramatiques qui lui sont contemporaines. Elle renferme çà et là des mots, des hémistiches, des vers qui trahissent un génie naissant ; et la manière dont elle est composée annonce une force de concentration jusqu’ici inconnue.