Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 3.djvu/63

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à l’évocation du poëte, les faits ensevelis dans la légende reparaissent au grand jour du théâtre ; les morts sortent de leur tombeau et reviennent sur la scène ; les victimes ressuscitent, traînant après elles leurs bourreaux. Châtiment terrible ! les tyrans, qui se croyaient du moins absous par l’oubli, sont condamnés à venir répéter et jouer leurs crimes sous les yeux de chaque génération.

Shakespeare est un justicier inflexible. Tant que l’humanité existera, les princes coupables n’obtiendront pas grâce de lui : il faut qu’ils soient à jamais l’épouvante et l’horreur du monde. Trois d’entre eux ont été appréhendés, dûment jugés et condamnés ; l’arrêt est sans appel. Ils sont là pour toujours, exposés sur le même tréteau, — écumant, hurlant, se tordant, invoquant un Horace Walpole qui les délivre ; mais, quoi qu’ils fassent, ils ne descendront jamais de ce pilori.

Pourquoi, dans la foule des rois, Shakespeare a-t-il choisi ces trois princes, Macbeth, Jean, Richard III ? Pourquoi le poëte, que certains critiques ont voulu faire si bon royaliste, a-t-il tiré de la chronique, pour les mettre sur la scène, ces échantillons sinistres de la monarchie ? Quelle intention avait-il ? Quelle pensée voulait-il propager dans les masses ? Je vais essayer de le deviner ; j’expliquerai en même temps par quel motif ces trois grands drames historiques se trouvent ici placés dans le même volume.

À mon avis, ces trois pièces, Macbeth, le Roi Jean, Richard III, sont les parties diverses d’une œuvre unique, les développements successifs de la même idée, les portions à la fois distinctes et inséparables d’une trilogie immense qui pourrait s’intituler le talion.

Voyons d’abord quels rapports les réunissent ; nous verrons ensuite quelles différences les distinguent.