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INTRODUCTION.

— Ce serait le parti le moins désastreux. Mieux vaudrait pour le frère une mort d’un moment que pour la sœur qui le rachèterait une mort éternelle.

— Mais vous seriez alors aussi cruelle que la sentence que vous réprouviez si fort !

Ici les rôles s’intervertissent. La suppliante devient la suppliée. Naguère c’était Isabelle qui réclamait contre la « rigueur d’Angelo, maintenant c’est Angelo qui se récrie contre la cruauté d’Isabelle. Eh quoi ! elle laisserait périr ce frère qu’il dépendrait d’elle de sauver ! Elle refuserait, pour l’arracher à la mort, de commettre une action qu’elle-même absolvait presque tout à l’heure ! Que parle-t-elle de damnation ? La charité ici compenserait le péché. D’ailleurs, ne sommes-nous pas tous faillibles ? Isabelle convient que les femmes sont fragiles comme les glaces où elles se mirent : « Eh bien qu’elle soit ce qu’elle est, c’est-à-dire une femme ; si elle est plus, elle n’est plus femme ; si elle l’est, comme l’indique tout son extérieur, qu’elle revête la livrée prédestinée. »

Ce sophisme machiavélique rappelle la fameuse théorie jésuitique :

Le ciel défend de vrai certains contentements,
Mais on trouve avec lui des accommodements,
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention.

Mais Isabelle, entendant Angelo, a droit d’être plus étonnée qu’Elmire écoutant Tartufe. C’est donc ainsi que parle l’intègre justicier devant qui le monde s’incline ! Celui qui naguère jetait l’anathème au vice immonde en fait maintenant l’apologie ! Il invoque les circonstances atténuantes de l’infirmité humaine en faveur de ce même crime que demain il punira de la mort ! Qu’est-ce que