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INTRODUCTION.

Stuarts seraient-ils plus doux au peuple que les Tudors ? Il faut l’avouer, les premiers actes du nouveau prince étaient de sinistre augure. À peine Jacques Ier avait-il franchi la frontière que le tyran se révélait. Sur la route même de Berwick à Londres, au bourg de Newark, le roi avait arrêté sa marche triomphale pour faire dresser une potence et pendre sans jugement un pauvre vagabond[1]. Dès son entrée dans sa capitale, Jacques avait institué un tribunal d’exception qui multipliait les supplices. Deux prêtres catholiques, suspects de conspiration contre sa personne, avaient été étranglés au gibet de Tyburn. D’anciens ministres de la feue reine, prévenus du même crime, lord Cobham et lord Grey, attendaient dans un cachot leur exécution. Sur une simple dénonciation, l’illustre Walter Raleigh avait été condamné à mort, agenouillé de force devant un billot, puis brusquement renvoyé à la tour de Londres par un sursis dérisoire qui devait le torturer dix ans. Tels étaient les événements lugubres qui inauguraient le régime nouveau. Et devant ces tragédies le peuple impuissant ou ignorant se taisait. Le parlement, avili par la crainte, sanctionnait les décrets les plus capricieux du despote. Le clergé, représenté par ses évêques, se prosternait à Hampton-Court devant le nouveau Salomon. Un concert d’adulations s’élevait de toutes parts autour du trône. La tribune approuvait, la chaire acclamait… Ce fut du théâtre que vint la remontrance.

Seul debout au milieu de la multitude prosternée, Shakespeare fit entendre au prince omnipotent le langage austère de la vérité. Dans une allégorie transparente, il lui rappela la sainte obligation de la clémence. La clémence

  1. C’est à propos de cet assassinat juridique qu’un contemporain, sir John Harrington, écrivait : « J’apprends que le nouveau roi a pendu un homme avant qu’il fût jugé, c’est un acte étrange ; si le vent souffle ainsi, pourquoi un homme ne serait-il pas jugé avant d’être délinquant ?