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LA SOCIÉTÉ.

mont Etna ; mais, en attendant, Jupiter veut tirer de la misère son ancien serviteur, et pour ce il va lui dépêcher incontinent le dieu des richesses. Plutus reçoit en maugréant l’ordre du maître : « C’est comme si tu m’envoyais verser de l’eau dans un tonneau percé, » murmure-t-il[1]. N’importe. Jupiter le veut, il faut partir. Plutus qui, comme vous savez, est aveugle et boiteux, se cramponne au manteau de Mercure et quitte l’Olympe. Les deux dieux sont bientôt en vue du mont Hymette. Ils pénètrent dans la vallée sans tenir compte des protestations de la Pauvreté qui, furieuse, s’enfuit avec ses satellites, le Travail, la Force, la Santé et la Vertu. Timon aperçoit les nouveaux-venus et de loin les menace de son hoyau. Plutus, fort peureux, veut se sauver, mais Mercure le retient et, entamant vaillamment les pourparlers, représente qu’il est Mercure et qu’il est chargé par Jupiter d’amener à Timon le dieu des richesses. Timon est grandement obligé à Jupiter, mais il est résolu à ne pas admettre celui qui a causé tous ses malheurs : Plutus l’a livré aux flatteurs, l’a corrompu à force de délices et l’a traîtreusement lâché au moment critique. Que Mercure s’en aille donc avec son aveugle ! Blessé dans son amour-propre de dieu, Plutus éprouve le besoin de se justifier : en quoi a-t-il pu offenser Timon ? Il l’a comblé de biens et d’honneurs. C’est lui, Plutus, qui bien plutôt devrait se plaindre : il a été chassé par Timon, prostitué par Timon à d’infâmes parasites. Il en était même tellement indigné qu’il ne serait jamais revenu sans l’ordre formel de Jupiter. Mercure confirme le dire de son collègue et somme Timon de se résigner à la volonté divine. Sur quoi les deux immortels disparaissent. — Resté seul, l’homme se remet à bêcher, et immédiatement l’or jaillit en paillettes sous son hoyau. Bientôt le bruit s’est répandu

  1. Voir la traduction de d’Ablancourt. Amsterdam, 1709.