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LA FAMILLE.

cables d’expiation tragique, et qu’il ait montré coup sur coup l’un si funeste à Coriolan, l’autre si fatal au roi Lear ?


I


La famille est l’élément primordial de la société. Antérieure à l’État qui, dans son expression la plus haute, n’est qu’un concours facultatif de volontés libres, la famille est une communauté nécessaire d’affections prédestinées. Le choix n’est pour rien dans la formation de cette communauté : le mystère de la conception l’enveloppe de toutes parts. Elle est immémoriale comme le passé, inévitable comme l’avenir. Perpétuée par des générations successives qui la renouvellent sans cesse, elle est vieille comme le monde et jeune comme lui. L’État est soumis à des lois discutables ; la famille est assujettie à des règles invariables. Respect du descendant pour l’ascendant, sollicitude de l’ascendant pour le descendant, dévouement de l’un pour l’autre, tel est ce droit rudimentaire dont les dispositions éternelles peuvent être obscurcies parfois, jamais modifiées. L’amour maternel n’a pas grandi depuis Hécube ; la piété filiale ne s’est pas accrue depuis Énée ; l’affection fraternelle ne dépassera jamais Antigone. L’État subit toutes les vicissitudes du progrès ; la famille est immuable comme l’instinct. — En vain les cataclysmes et les fléaux se ligueraient contre elle : elle survit à tout. Le déluge a beau accumuler ses torrents pour l’engloutir : elle sort de l’arche saine et sauve.

Qu’importe que l’adversité l’arrache au sol natal ! La famille se fait à l’existence nomade comme à la vie sédentaire, elle bâtit partout sa tente, elle porte partout son feu sacré. Plus l’orage gronde autour d’elle, plus étroitement et plus tendrement elle resserre son groupe fidèle autour de l’âtre flamboyant. Déchaînez-vous, tyrannies