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INTRODUCTION.

de nos gouvernants suffirait à nous soulager. Mais ils nous trouvent déjà trop coûteux. La maigreur qui nous afflige, effet de notre misère, est comme un inventaire détaillé de leur abondance : notre détresse est profit pour eux. Vengeons-nous avec nos piques, avant de devenir des squelettes. Les dieux le savent, ce qui me fait parler, c’est la faim du pain, et non la soif de la vengeance. »

Les paroles du harangueur sont accueillies par les acclamations de la foule. En même temps des imprécations sinistres retentissent :

— Mort à Caïus Marcius ! s’écrie-t-on de toutes parts.

— C’est notre grand ennemi, exclame celui-ci.

— C’est le limier du peuple, vocifère celui-là.

— Tuons-le, reprend l’orateur populaire, et nous aurons le blé au prix que nous voulons. Est-ce décidé ?

— Oui ! oui ! n’en parlons plus. Mort à Caïus Marcius ! Vite à l’œuvre ! Courons.

Caïus Marcius ! Quel est ce personnage que dénonce ainsi la colère du peuple ? Comment cet homme a-t-il pu susciter contre lui tant de haines ? Ici une explication est nécessaire.

Petit-fils du vieux roi Ancus Marcius, Caïus appartient à l’une des plus grandes familles sénatoriales. Ce n’est pas seulement cette haute naissance, c’est son mérite personnel qui le désigne comme le chef naturel du parti patricien. Tout jeune encore, il a figuré dans dix-sept combats. Un jour, sur le champ de bataille, il a d’un coup d’épée fait tomber à genoux Tarquin le Superbe, et il est rentré dans Rome couronné de chêne. — Marcius est la personnification éclatante de l’aristocratie. — Si jamais les prétentions à la suprématie ont été justifiées, c’est chez cet homme extraordinaire. Le poëte, renchérissant sur l’histoire, l’a doué de toutes les vertus publiques et privées. Marins est aussi désintéressé que vaillant, aussi loyal que généreux, aussi franc