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INTRODUCTION.

peare a bien vu que son personnage ne pouvait en conscience jouer un pareil rôle. Voilà pourquoi Marcius prend pour solliciter le peuple l’accent de la dérision. Sans cesse il dément par l’impertinence de son ton l’humilité de sa requête ; sans cesse il met à ses paroles la sourdine de l’ironie.

— J’ai des blessures à vous montrer, mais vous les verrez en particulier… Votre bonne voix, monsieur ? Que dites-vous ?

— Vous l’aurez, digne Sire.

— Marché conclu, monsieur. Voilà en tout deux nobles voix de mendiées… J’ai vos aumônes, adieu !

Et Marcius congédie les deux électeurs. Que d’arrogance dans son geste ! Que de morgue dans son attitude ! Le patricien donne à la prière même l’insolence du sarcasme.

Peut-on dire, après cette candidature dérisoire, que Coriolan ait réellement observé les prescriptions légales ? Non. Ce n’est que par une supercherie qu’il a obtenu le consentement du peuple. Il n’a pas violé la loi, il l’a éludée.

Cette modification apportée par le poëte au récit de l’historien était dramatiquement nécessaire, d’abord pour conserver au caractère de Coriolan, tel que Shakespeare l’avait conçu, son unité logique, ensuite pour expliquer le revirement populaire qui va avoir lieu tout à l’heure. Plutarque, très-favorable à Coriolan et fort hostile au peuple, attribue uniquement à un caprice de la multitude la révocation de Marcius : « Adonc l’amour et la bienveillance de la commune commença à se tourner en envie avec ce qu’ils craignaient de mettre ce magistrat de souveraine puissance entre les mains d’un personnage si partial pour la noblesse : pour lesquelles considérations ils refusèrent à la fin Marcius et furent deux autres poursuivants déclarés consuls. » Contrairement à cette assertion du biographe, c’est par les torts de Coriolan que Shakespeare explique son échec final. Si le peuple,