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INTRODUCTION.

sante oppose son veto à cette conclusion monstrueuse : l’égorgement de la cité par le citoyen. Si Rome est condamnée à périr, ce n’est pas de la main d’un Romain, c’est par le fer d’un barbare. La Providence défend à Coriolan ce qu’elle permettra à Alaric.

Comment donc Rome peut-elle être sauvée ? Pour combattre l’ennemi, elle n’a pas un soldat. De quel rempart va-t-elle donc se couvrir ? Quel miraculeux boulevard va-t-elle opposer à l’envahisseur ? Eh bien, regardez ces femmes et cet enfant qui viennent de pénétrer dans le camp des Volsques. En les reconnaissant, Coriolan a tressailli sur son trône d’airain.

— Tenterait-on, murmure-t-il, de me faire enfreindre mon vœu ?… Non, je ne l’enfreindrai pas… Ma femme vient la première, puis ma mère, tenant par la main le petit-fils de sa race… Pourquoi cet humble salut ? Pourquoi ces regards de colombe qui rendraient les dieux parjures ?… Je m’attendris : je ne suis pas d’une argile plus ferme que les autres !… Ma mère s’incline. Comme si devant une taupinière l’Olympe devait s’humilier !… Non. Que les Volsques traînent la charrue sur Rome et la herse sur l’Italie. Je ne serai jamais de ces oisons qui obéissent à l’instinct : je résisterai comme un homme qui serait né de lui-même et ne connaîtrait pas de parents.

— Mon seigneur ! mon mari !

— Ô toi, le plus pur de ma chair, pardonne à ma rigueur, mais ne me dis pas pourtant de pardonner aux Romains. Oh ! un baiser long comme mon exil, doux comme ma vengeance ! Par la jalouse reine des cieux, c’est le même baiser, ma Virgilie, que j’ai emporté en te quittant : ma lèvre fidèle l’a gardé vierge… Grands dieux ! je babille, et la plus noble des mères n’a pas reçu mon salut.

Coriolan, emporté par le respect, va tomber à genoux,