Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 9.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
INTRODUCTION.

certer par ce brusque changement. Dans une harangue solennelle dont Shakespeare a emprunté l’exorde à Plutarque, elle expose la détresse à laquelle son fils l’a désormais réduite. Si grand est son malheur, qu’elle n’a même plus la consolation de la prière : « Comment pouvons-nous prier pour notre pays, comme c’est notre devoir, et pour ton triomphe, comme c’est notre devoir ? Hélas ! il nous faut sacrifier ou la patrie, notre chère nourrice, ou ta personne, notre joie dans la patrie ! » Effrayante alternative dans laquelle Marcius a enfermé sa famille ! Pour échapper à ce dilemme, il n’y a qu’une issue, une seule : c’est que Marcius lève le siége de Rome : « Tu sais, mon auguste fils, que le résultat de la guerre est incertain ; mais ceci est bien certain que, si tu es le vainqueur de Rome, tout le profit qui t’en restera sera un nom traqué par d’infatigables malédictions. La chronique écrira : Cet homme avait de la noblesse, mais il l’a raturée par sa dernière action. Il a ruiné son pays, et son nom subsistera abhorré dans les âges futurs ! »

Après cette véhémente apostrophe, Volumnie s’arrête un moment comme pour laisser la parole à son fils. Mais le général ne semble pas ému : il garde un impénétrable silence. Volumnie a beau lui crier : « Pourquoi ne parles-tu pas ? » il se tait, il se tait toujours. Alors, inspirée non plus par Plutarque, mais par Shakespeare, Volumnie change d’accent : elle quitte le ton d’une femme suppliante pour celui d’une femme outragée ; elle laisse là les raisonnements et les lamentations, et a recours à ce moyen extrême de l’éloquence aux abois, — l’invective. Elle n’argumente plus, elle gronde. Elle n’implore plus, elle foudroie : « Il n’est pas au monde de fils plus redevable à sa mère, et pourtant il me laisse pérorer comme une infâme aux ceps ! Si ma requête est injuste, dis-le et chasse-moi ; mais si elle ne l’est pas, tu manques à l’honneur, et