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LA FAMILLE.

accomplir dignement ce travail : il céda aux instances de Walter et se mit à l’œuvre. Sa traduction terminée, il la dédia à Robert, comte de Glocester, fils naturel de Henri Ier, et c’est sous ce puissant patronage que le nouveau livre fut introduit à la cour d’Angleterre. — Les princes normands, qui venaient de remplacer là les princes saxons, comprirent tout de suite de quelle utilité politique pouvait leur être la légende récemment importée d’Armorique. — Cette légende, en racontant l’invasion de la Grande-Bretagne par les hordes d’Hengist, dénonçait toutes les violences commises contre les Celtes par les envahisseurs germaniques ; elle flétrissait les Saxons comme des pirates qui, à force de ruses et de trahisons, avaient dépouillé et asservi les légitimes possesseurs du sol. Grâce à ses révélations, les ducs de Normandie pouvaient se vanter d’avoir exercé de justes représailles en expulsant cette dynastie étrangère qui avait elle-même chassé l’antique dynastie nationale. La victoire de Guillaume devenait l’équitable châtiment de l’usurpation saxonne. Les fils de Rollon achevaient et consacraient l’œuvre interrompue d’Arthur ; ils étaient à la fois les vengeurs et les successeurs de ces rois que venait de renommer tout à coup la chronique armoricaine ; ils avaient relevé dans la Grande-Bretagne le trône abattu par le brigand Horsa, — ce trône épique apporté d’Ilion dans une Troie nouvelle et où s’étaient successivement assis quatre-vingt-dix-neuf princes, depuis Brutus, petit-fils d’Énée, jusqu’à Cadwalla, le pieux pèlerin sacré par le pape Sergius. La couronne, que le Conquérant avait ramassée aux champs d’Hastings, n’était plus le morion barbare d’un chef scandinave, c’était le tortil splendide qu’avaient ceint d’âge en âge les têtes les plus vénérées d’une race héroïque, Uther Pendragon, Arthur, Guidérius, Arviragus, Cymbeline, Cassibelan, Mulmutius, Lear, Cordélia ! Avec une telle arrière-garde de princes, les