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INTRODUCTION.

Trois filles eut, n’eut nul autre hoir,
Ni plus ne put enfant avoir.
La première fut Gornorille,
Puis Ragaü, puis Cordéille[1].

L’histoire de ce roi Léir, telle que Wace la rappelait dans ses vers naïfs, était bien faite pour frapper l’imagination populaire. Elle symbolisait dans une combinaison vraiment dramatique l’éternel rapport entre le père et les enfants, en montrant à quelles étranges erreurs l’autorité royale peut exposer l’autorité paternelle. Devenu vieux, ce Léir, que les Gallois célébraient sous le nom de Lléon, fit venir ses trois filles et les interrogea successivement pour savoir laquelle l’aimait le plus. Gornorille, l’aînée, répondit la première :

Gornorille lui a juré
Du ciel toute la déité.
Qu’elle l’aime mieux que sa vie.

Sur quoi Léir promit à Gornorille un tiers de son royaume et la maria à Malglamis, duc d’Écosse. La puinée, Ragaiü, répondit la seconde :

Si lui a dit : certainement
Je t’aime sur toute créature,
Ne t’en sais dire autre mesure.

Sur quoi Léir promit à Ragaü un tiers de son royaume et la maria à Hennin, duc de Cornouailles. Enfin, le roi se tourna vers la cadette qui lui était plus chère que les deux autres et la questionna. Cordéille répondit :

Ne sais que plus grand amour soit
Qu’entre enfant et entre père,
Et entre enfant et entre mère.
Mon père es et j’aime tant toi
Comme je mon père aimer dois,
Et tiens ceci pour certain :
Tant as, tant vaux et tant je t’aime.

  1. Voir à l’appendice la citation entière de cet épisode du Roman de Brut.