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LA FAMILLE.

que l’expédition fut prête, il en prit le commandement, repassa la mer, accompagné de sa fille, et débarqua heureusement en Grande-Bretagne. En vain ses gendres voulurent s’opposer à ses progrès. Il leur livra bataille, les défit et reprit possession de son royaume qu’il gouverna paisiblement jusqu’à sa mort. On ne sait ce que devinrent les méchantes princesses Gornorille et Ragaü. Quant à Cordéille, après avoir enseveli son père dans la crypte du temple de Janus à Leicester, elle lui succéda sur le trône ; mais, après qu’elle eut régné cinq ans, les fils de ses sœurs s’insurgèrent contre elle et la firent prisonnière. Devenue folle de douleur, la pauvre reine finit par s’occire dans son cachot.

Margan et Cinedagius
À la fin Cordéille prirent.
Et en une chartre la mirent,
N’en voulurent avoir rançon,
Mais la tinrent en prison,
Qu’elle s’occit en la geôle
De marriment, si fit que folle.

Telle était, dans ses péripéties principales, cette légende du roi Léir et de ses filles que la tradition galloise venait de léguer à la jeune poésie française. Transportée bientôt avec toute la chronique armoricaine de l’épopée normande dans l’épopée anglo-saxonne, répétée d’âge en âge par les bardes du Nord, — au treizième siècle par Layamon et par Robert de Glocester, au quatorzième par Pierre de Langtoft et par Robert Manning, au quinzième par sir John de Mandeville, au seizième par Sackville et par Spencer, — cette légende vénérable avait acquis au temps d’Élisabeth toute l’autorité d’un fait historique. À cette époque, les aventures fabuleuses du fils de Baldud n’étaient pas plus contestées par la foi publique que les malheurs de Richard II ou les crimes de Richard III. Bien audacieux eût été le sceptique qui eût douté que les Tudors fussent les successeurs directs d’un petit-fils d’Énée. Nier que la Reine