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INTRODUCTION.

Vierge fût sur le trône la légitime héritière de Cordelia, c’eût été plus qu’un crime de lèse-majesté, c’eût été un crime de lèse-vérité. La science même consacrait, par son adhésion, le mythe que lui imposait une crédulité séculaire. L’historien le plus compétent et le plus renommé de l’époque, Holinshed, n’hésitait pas à insérer la fable galloise en tête de ses annales et affirmait gravement, après avoir compulsé les dates, que Léir était monté sur le trône de la Bretagne en l’an du monde 3105, au temps où Joas régnait en Juda : « Leir, the son of Baldud, was admitted ruler over the Britains in the year of the world 3105, at what time Joas reigned as yet in Juda. » Comment ne pas croire à une déclaration si formelle ?

Aussi était-ce bien comme drame historique que, vers l’an 1594 un auteur anonyme avait fait jouer, sur la scène anglaise, une pièce dont les aventures du fils de Baldud formaient le sujet. Cette pièce, imprimée en 1605 sous ce titre : The true chronicle history of king Leir and his three daugthers[1], était en effet une reproduction assez exacte de la chronique récemment transcrite par Holinshed. On y retrouvait, développés en scènes naïves, tous les incidents traditionnels : l’interrogatoire auquel le roi Léir soumet ses trois filles ; le partage qu’il fait de son royaume en faveur des deux aînées et au détriment de la cadette ; le mariage de Cordella avec le roi de Gaule ; l’ingratitude de Gonoril et de Ragan envers leur père ; la fuite de Léir en France, sa réconciliation avec Cordella, et enfin l’heureux dénoûment qui le replace sur le trône, après l’éclatante défaite de ses gendres, les rois de Cornouailles et de Cambrie. L’auteur modeste n’avait ajouté au personnel légendaire que trois caractères subalternes, — un confident, Montfort, attaché au roi de Gaule et chargé d’égayer la

  1. Voir aux notes les extraits de cette œuvre curieuse, traduite en français pour la première fois.