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LES FARCES.

précédant immédiatement Henry V, donnent un relief extraordinaire à ce drame héroïque. La dégradation du chevalier abruti devient la contre-partie de l’apothéose du prince idéalisé. La farce fait repoussoir à l’épopée.

La comédie, hâtivement improvisée par Shakespeare en 1600, n’a acquis sa valeur véritable que par la retouche. Cette retouche magistrale lui a donné ce qui lui manquait, le fini du détail, la précision et la saillie des figures, la mise en perspective de l’ensemble. Le défaut choquant de la comédie ébauchée est la trop brusque accumulation des incidents. Les trois mystifications dont Falstaff est la victime, se succèdent presque sans préparation, presque sans explication. Sir John n’a pas le temps de respirer entre toutes ses infortunes : à peine s’est-il dépêtré du panier au linge sale et de la bourbe de la rivière, qu’il se laisse travestir en vieille femme pour être bâtonné ; et il n’a pas plutôt reçu sa volée de bois vert, qu’il se laisse emmener dans le parc pour y être tarabusté de plus belle. Cette précipitation ôte toute vraisemblance à l’intrigue. Il est impossible que Falstaff, si aveuglé qu’on le suppose, donne si vite dans tant de panneaux.

Aussi la révision, en doublant matériellement l’étendue de l’œuvre, a-t-elle largement espacé toutes ces péripéties. — Dans la comédie esquissée, il n’y a que deux petites scènes entre la farce de l’immersion et la farce de la bastonnade ; là, aussitôt que Falstaff, inondé de fange, est rentré à son auberge, dame Quickly et Gué accourent, et le décident à tenter une seconde épreuve ; puis intervient un court dialogue dans lequel les deux rivaux Fenton et Slender sont mis en présence de leur chère Anne Page ; après quoi Falstaff reparaît, et le second tour est joué. Dans la comédie revisée, l’action suit une tout autre marche ; l’ordre des scènes est inter-