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LES FARCES.

dans la pièce française, forment les incidents les plus saillants de la pièce anglaise. Molière évite les développements bouffons du sujet ; Shakespeare les cherche. Molière modère sans cesse la comédie ; Shakespeare l’outre magistralement jusqu’à la farce. Le bâton, qui derrière la coulisse se lève sur Horace, tombe en plein proscénium sur les épaules énormes de Falstaff travesti en vieille femme. Les cornes, qui restent pour Arnolphe un épouvantail insaisissable, deviennent visibles chez Shakespeare, et, au moment décisif, à la clarté de mille flambeaux fantastiques, au fracas des fous rires et des chansons folles, étalent leurs gigantesques ramures sur le front de Falstaff bafoué.

Le dénoûment des Joyeuses Épouses de Windsor, admirable mélange de lyrisme et de bouffonnerie, traduit ainsi par une satire inoubliable la pensée si hautement morale de l’œuvre. Le complot se retourne contre le conspirateur. Le ridicule que, dans un calcul sordide, Falstaff voulait infliger aux deux maris, finit par écraser le chef ébouriffé du galant confondu. Ah ! chevalier, vous prétendiez exploiter ces deux honnêtes femmes ; et vous, l’homme d’esprit par excellence, vous vous croyiez sûr de triompher de leur simplicité roturière ; mais telle est la puissance de la vertu que, guidées par elle, deux provinciales vous ont battu. Vous comptiez les jouer ; elles vous ont berné. Vous espériez faire d’elles vos « Indes occidentales ; » elles ont fait de vous leur mannequin. Vous vouliez qu’elles trahissent leurs maris ; c’est à vous qu’elles en ont fait porter.

Convenons-en, la chevalerie, dont Falstaff est le représentant, fait ici piteuse mine. Jamais elle n’a apparu plus saugrenue, plus désespérément ridicule que dans cette humiliation à elle infligée par deux bourgeoises. Pour qu’ici nous le comprenions bien, le poëte a complété sa