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maison de Tchou : Koan Fou CCXXXV-1 reçut des outrages dans le corps de garde. Ces hommes étaient tous élevés en dignité jusqu’à être rois, marquis, généraux ou conseillers ; leur renommée était connue des royaumes voisins ; mais, quand ils furent condamnés aux supplices et aux coups, ils ne parvinrent pas à se soustraire à la sentence et à prendre une décision par eux-mêmes ; ils furent jetés dans la poussière sordide. Ainsi dans l’antiquité et dans les temps modernes il en va de même; pourrait-on soutenir que ces hommes ne furent pas déshonorés ? De là vient ce dicton : « Bravoure et lâcheté dépendent des circonstances ; force et faiblesse dépendent des apparences. » Si on médite cette parole, on trouve qu’elle n’a rien d’extraordinaire.

D’ailleurs, si un homme ne sait pas prendre une décision assez prompte pour échapper aux liens et à la marque infamante, s’il s’est laissé peu à peu outrager jusqu’à en arriver à recevoir les coups de fouet et de bâton, quand bien même il voudrait alors reprendre sa dignité, ne serait-ce pas trop tard ? Lorsque les anciens disaient qu’il était difficile d’appliquer les châtiments corporels aux grands officiers, c’est sans doute là ce qu’ils pensaient. En effet, c’est un sentiment inné à la nature humaine d’aimer la vie et d’avoir la mort en horreur, de chérir nos parents et de penser avec sollicitude à nos femmes et à nos enfants. Mais il n’en va pas ainsi avec ceux qui sont enthousiastes pour la justice et la raison s’ils se trouvent dans des circonstances où ils ne sont pas contents d’eux-mêmes. Maintenant moi, j’ai eu le malheur de perdre de bonne heure mon père et ma mère ; je n’ai pas eu l’étroite amitié de frères aînés ou cadets et je me suis trouvé tout à fait isolé ; Chao-k’ing, vous avez vu comment je me comportais à l’égard de ma femme et de mes enfants CCXXXV-2. D’ailleurs, même les braves ne croient pas toujours de leur devoir de mourir ; même les lâches se laissent entraîner par le désir de la justice et alors en quelle occasion ne font-ils pas les derniers efforts CCXXXV-3 ? Si même j’avais été un lâche et que j’eusse


CCXXXV-1. Cf. Mémoires historiques, chap. CVII.

CCXXXV-2. En osant parler en faveur de Li Ling, Se-ma-Ts’ien a montré qu’il ne mettait pas l’affection qu’il pouvait avoir pour sa femme et ses enfants au-dessus de son désir de dire la vérité : comme d’ailleurs il n’avait plus ses parents et qu’il n’avait pas de frères, ce ne sont pas les liens qui le rattachaient à sa famille qui l’ont empêché de se tuer.

CCXXXV-3. Le fait même de se tuer ne prouve pas qu’on soit brave ou lâche, car les braves peuvent se trouver dans des circonstances telles que leur devoir est de ne pas se donner la mort, tandis que des hommes ordinaires peuvent braver la mort en s’excitant pour une noble cause.