Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/144

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OIDIPOUS.

Que toutes les félicités t’arrivent ! Qu’un Daimôn veille mieux sur toi que sur moi ! Ô mes enfants, où êtes-vous ? Venez ici, venez toucher mes mains, ces mains fraternelles qui ont fait, des yeux naguère brillants de votre père, ce qu’ils sont maintenant ! de votre père, ô mes filles, qui, ne voyant, ni ne sachant, a fécondé le sein qui l’avait conçu ! Je vous pleure, car je ne puis vous voir, en songeant combien votre vie sera cruelle désormais parmi les hommes. À quelles assemblées de citoyens irez-vous ? à quelles Théories, d’où vous reviendrez dans la demeure, pleurant et non joyeuses de ce que vous aurez vu ? Et quand vous atteindrez l’âge des noces, qui osera, ô mes enfants, subir tant d’opprobres qui accableront de misères mes parents et les vôtres ? Quel malheur, en effet, n’ai-je pas subi ? Votre père a tué son père, il s’est uni à la mère qui l’avait conçu, et il vous a fait naître du sein dont il est né ! Vous subirez ces reproches. Qui donc vous épousera ? Personne, ô mes enfants, et il vous faudra mourir vierges et stériles ! Ô fils de Ménoikeus, puisque tu restes seul pour être leur père, car nous qui les avons engendrées, nous sommes tous deux morts, ne souffre pas qu’elles mendient, sans époux, sans famille, ni qu’elles vagabondent çà et là sans enfants. N’égale pas leurs maux aux miens ; mais prends pitié d’elles que tu vois si jeunes, privées de tout appui, hors le tien. Promets, ô Bien né ! et donne-moi ta main en gage de ta foi. Pour vous, ô enfants, si vous pouviez me comprendre je vous donnerais de nombreux conseils ; mais, du moins, je ferai ce vœu que, là où vous vivrez, vous jouissiez d’une meilleure destinée que celle du père qui vous a engendrées !