Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/315

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Képhallènes ont jeté honteusement, seul, sur cette terre déserte, rongé d’un mal cruel et blessé par la morsure amère d’une vipère tueuse d’hommes. Avec cela, enfant, ils m’ont abandonné et s’en sont allés, ayant abordé ici sur les nefs, au retour de Khrysa entourée des flots. Joyeux, dès qu’ils m’eurent vu, après une violente prostration, dormant sous un rocher creux du rivage, ils s’en allèrent, m’ayant laissé, comme à un mendiant, des haillons et un peu de nourriture. Puissent-ils en subir autant ! Tu penses, ô fils, ce que je ressentis, sortant du sommeil, après qu’ils furent partis, que de larmes je versai, avec quelles lamentations sur mes maux, lorsque je vis qu’elles avaient toutes disparu, les nefs sur lesquelles je naviguais, et qu’aucun homme n’était plus ici qui me secourût et pût soulager mon mal. Et, regardant tout autour de moi, je ne vis rien que mes misères ; et, de celles-ci, ô fils, j’avais une grande abondance. Et le temps faisait succéder le jour au jour, et il me fallait, seul, sous ce misérable abri, songer à quelque nourriture. Cet arc me procurait les choses nécessaires, en perçant les colombes ailées ; et, alors, vers ce que la flèche partie de la corde avait atteint, je rampais, traînant mon pied misérable. Et quand il fallait boire ou couper un peu de bois, si les gelées étaient répandues sur la terre, comme c’est la coutume en hiver, j’y allais, rampant avec angoisse. Et je n’avais point de feu ; mais, en heurtant le silex au silex, j’en fis jaillir à peine un peu de flamme cachée, et cette flamme m’a toujours sauvé ; car, avec le feu, j’ai tout ce qu’il faut dans cette demeure, hors la fin de mon mal. Maintenant, ô fils, apprends quelle est cette île. Aucun marin n’y aborde volontiers. Il ne s’y trouve en effet aucun port, ni aucun lieu où celui qui navigue fasse du gain ou soit reçu par un hôte. Il