Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/392

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TEKMÈSSA.

Je te dirai tout ce qui est arrivé, puisque tu partages ma douleur. En pleine nuit, quand les torches du soir ne brûlaient plus, ayant saisi une épée à deux tranchants, il parut vouloir sortir sans raison. Alors, je l’interpelle par ces paroles : — Que fais-tu, Aias ? Où vas-tu, non appelé, ni pressé par quelque message, ni par le son de la trompette ? Maintenant, toute l’armée dort. — Et lui me répondit cette brève parole toujours dite : — Femme, le silence est l’honneur des femmes. — L’ayant entendu, je me tus, et il s’élança seul au dehors, et je ne sais ce qui a été fait dans l’intervalle. Puis, il revint, amenant dans sa tente, liés ensemble, des taureaux, des chiens de berger et tout un butin cornu. Et il coupa la tête des uns, et, renversant les autres, il les égorgea et les mis en morceaux ; et il en lia d’autres qu’il déchira à coups de fouet, frappant ce bétail comme s’il frappait des hommes. Puis, il s’élança dehors, parlant d’une voix rauque à je ne sais quel spectre, insultant, tantôt les Atréides, tantôt Odysseus, avec des rires et se vantant de s’être vengé de leurs injures. Puis, il se rua dans sa tente, et revenant à lui après un long temps, quand il vit sa demeure pleine de carnage par sa démence, il se frappa la tête, cria et se jeta sur les cadavres du troupeau égorgé, arrachant ses cheveux avec ses ongles. Et il resta ainsi longtemps muet. Puis il me menaça d’un grand châtiment si je ne lui révélais tout ce qui était arrivé, et il me demanda enfin dans quel état il était tombé. Et moi, pleine de crainte, ô amis, je lui racontai tout, autant que je le savais. Et aussitôt il se lamenta en hurlements lugubres tels que je n’en avais jamais entendu venant de lui ; car il avait coutume de dire que