Page:Sophocle, trad. Leconte de Lisle, 1877.djvu/451

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voyant cela, je pleure dans la demeure, et je me consume, et, seule avec moi-même, je déplore ces repas funestes qui portent le nom de mon père ; car je ne puis me lamenter ouvertement autant que je le voudrais. Alors, ma mère bien née, à haute voix, m’accable d’injures telles que celles-ci : — Ô détestée des Dieux et de moi, es-tu la seule dont le père soit mort ? Nul autre des mortels n’est-il dans le deuil ? Que tu périsses misérablement ! Que les Dieux souterrains ne te délivrent jamais de tes larmes ! — Elle m’accable de ces outrages. Mais si, parfois, quelqu’un annonce qu’Orestès doit revenir, alors elle crie, pleine de fureur : — N’es-tu point cause de ceci ? N’est-ce point là ton œuvre, toi qui, ayant enlevé Orestès de mes mains, l’as fait nourrir secrètement ? Mais sache que tu subiras des châtiments mérités ! — Elle aboie ainsi, et, debout à côté d’elle, son amant illustre l’excite, lui, très lâche et mauvais, et qui ne combat qu’à l’aide des femmes. Et moi, attendant toujours que le retour d’Orestès mette un terme à ces maux, je péris pendant ce temps, malheureuse que je suis ! Car, promettant toujours et n’accomplissant rien, il détruit mes espérances présentes et passées. C’est pourquoi, amies, je ne puis me modérer en de telles misères, ni respecter aisément la piété. Qui est sans cesse accablé par le mal applique forcément son esprit au mal.

LE CHŒUR.

Dis-moi, pendant que tu nous parles ainsi, Aigisthos est-il dans la demeure ou dehors ?

ÉLEKTRA.

Il est sorti. Crois-moi, s’il eût été dans la demeure, je n’aurais point passé le seuil. Il est aux champs.