Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/365

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Toutes les fois que l’on aborde une question relative au progrès industriel, on est amené à regarder l’art comme une anticipation de la plus haute production — quoique l’artiste, avec ses caprices, semble être souvent aux antipodes du travailleur moderne[1]. Cette analogie est justifiée par le fait que l’artiste n’aime pas à reproduire des types reçus ; l’infinité de son vouloir le distingue de l’artisan commun qui réussit surtout dans la reproduction indéfinie des types qui lui sont étrangers. L’inventeur est un artiste qui s’épuise à poursuivre la réalisation de fins que les gens pratiques déclarent, le plus souvent, absurdes, et qui passe assez facilement pour fou, s’il a fait une découverte considérable ; — les gens pratiques sont analogues aux artisans. Dans toutes les industries, on pourrait citer des perfectionnements considérables qui ont eu pour origine de petits changements opérés par des ouvriers doués du goût de l’artiste pour l’innovation.

Cet état d’esprit est encore exactement celui que l’on rencontrait dans les premières armées qui soutinrent

  1. Quand on parle de la valeur éducative de l’art, on oublie souvent que les mœurs des artistes modernes, fondées sur l’imitation d’une aristocratie joviale, ne sont nullement nécessaires et dérivent d’une tradition qui a été fatale à beaucoup de beaux talents. — Lafargue paraît croire que le bijoutier parisien pourrait bien avoir besoin de se vêtir élégamment, de manger des huîtres et de courir les filles pour « reproduire la qualité artistique de sa main-d’œuvre ». (Journal des économistes, septembre 1881, p. 386.) Il ne donne aucune raison àl’appui de ce paradoxe ; on pourrait d’ailleurs observer que l’esprit du gendre de Marx est toujours obsédé par des préoccupations aristocratiques.