Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/141

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tavarman et de Kripa, qui veillent près des portes : les Rakchàsas et les Piçâtchas (ogres et vampires) viennent se mettre de la fête. On les compte par milliers, par millions : ils ont une taille immense, le teint jaune, la gorge bleue, des dents de pierre, une figure de buffle, les cheveux en désordre, le front proéminent, cinq pieds, le ventre flasque, les doigts crochus. Repoussants, difformes, exhalant des clameurs perçantes, chargés d’une multitude de clochettes sonores, plus laids que les Cyclopes d’Homère et que les Harpies de Virgile, ils déchirent les cadavres, avalent leurs membres palpitants, sucent la moelle de leurs os brisés et dansent ensemble pour célébrer leur joie. On le voit, les exagérations de notre littérature romantique et les minuties pittoresques de nos réalistes étaient déjà familières, il y a plus de vingt siècles, aux improvisateurs épiques de la race aryenne.

Açwatthâman a dignement vengé son père : ce n’est qu’à l’aurore qu’il sort du camp, transformé en théâtre de carnage: les cinq Pândavas étaient absents; c’est la seule pensée qui lui gâte son triomphe. Ses deux compagnons et lui se racontent leurs exploits, et ils partent, désireux de les raconter aussi à Douryôdhana, s’il a conservé un souffle de vie. Ils le trouvent, les deux cuisses brisées par la massue de Bhimaséna, respirant à peine, rendant le sang à pleine bouche, étendu à terre, environné d’animaux féroces, qui attendaient sa mort prochaine afin de le dévorer, et déjà trop faible pour leur disputer son agonie. En apercevant leur roi dans cette situation lamentable, les trois généreux héros pleurent son sort et lui adressent des paroles de consolation et de regret. Ils admirent sa massue fidèle, qui repose à ses côtés ; ils vantent sa vaillance ; ils honorent sa dernière heure ; ils maudissent son assassin, le cruel Ventre-de-loup ; ils gémissent de n’avoir pu le défendre et le sauver. Et quelle sombre ivresse dans cette suprême allocution d’ Açwatthâman, qui fait songer aux formidables champions des Eddas ou des Niebelungen !