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l’esclave.

fraîches brises de l’Océan, au soleil voilé de l’Armorique, au silence des forêts, ils ne pouvaient supporter ni le soleil ardent de l’Italie, ni cette blanche poussière des chemins, ni ces cris de la foule. Mais si, affaiblis par la lutte contre un nouveau climat, ils ralentissaient leur marche, le fouet du maquignon (marchand d’esclaves) leur rappelait promptement qu’ils n’avaient plus droit même au repos.

Je ne sais si la vue de tant de misères n’émut point secrètement ces Romains avides de spectacle et de domination ; mais on n’aperçut dans la foule aucun témoignage de pitié : aucun œil ne se baissa, aucune plainte compatissante ne se fit entendre.

Quand une population entière se trouve sous le poids d’une calamité qui l’atteint d’un seul coup dans tous ses bonheurs, l’individualité de chacun s’efface pour ainsi dire dans ce malheur général, et tous les visages se ressemblent. Cependant, parmi les milliers de victimes qui traversaient Rome, il s’en trouvait une dont la figure se montrait plus inquiète, plus souffrante encore que les autres, mais en même temps plus empreinte de dévouement et de courage. C’était celle d’une femme d’environ trente-cinq ans, dont le regard ne quittait pas l’enfant qui marchait à ses côtés. Tout ce que le cœur d’une mère peut contenir d’angoisses était exprimé dans ce regard ; mais, outre la douleur qui se laissait voir également dans l’œil de chaque mère, on y trouvait je ne sais quelle sainte énergie.