Page:Stendhal, De l’amour, Lévy, 1853.djvu/198

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168 ŒUVRES DE STENDHAL. dire : « Or çà, dis-moi, Guillaume, si une femme te faisait sem- « blant d'amour, oserais- tu bien l’aimer? x» Guillaume, qui s'en était aperçu, lui répondit tout franchement : « Oui, bien ferais- « je, madame, pourvu seulement que le semblant fût vérité. « — Par saint Jean ! fit la dame, bien avez répondu comme un « homme de valeur; mais à présent je te veux éprouver si tu « pourras savoir et connaître, en fait de semblants, quels sont « de vérité et quels non. » a Quand Guillaume eut entendu ces paroles, il répondit : « Ma « dame, qu'il soit ainsi comme il vous plaira. » « Il commença à être pensif, et Amour aussitôt lui chercha guerre; et les pensers qu’Amour envoie aux siens lui entrèrent dans le tout profond du cœur, et de là en avant il fut des ser- vants d’amour et commença à trouver (1) de petits couplets ave- nants et gais, et des chansons à danser, et des chansons de chant (2) plaisant, par quoi il était fort agréé, et plus de celle pour laquelle il chantait. Or Amour, qui accorde à ses servants leur récompense quand il lui plaît, voulut à Guillaume donner le prix du sien ; et le voilà qui commence à prendre la dame si fort de pensers et de réflexions d’amour, que ni jour ni nuit elle ne pouvait reposer, songeant à la valeur et à la prouesse qui en Guillaume s’était si copieusement logée et mise. « Un jour, il arriva que la dame prit Guillaume et lui dit : « Guillaume, or çà, dis-moi, t’es-tu à cette heure aperçu de « mes semblants, s’ils sont véritables ou mensongers? » Guil- laume répond : « Madona, ainsi Dieu me soit en aide, du mo- « ment en çà que j’ai été votre servant, il ne m’a pu entrer au ce cœur nulle pensée que vous ne fussiez la meilleure qui onc « naquit et la plus véritable et en paroles et en semblants. Cela « je crois et croirai toute ma vie. » Et la dame répondit : « Guillaume, je vous dis que si Dieu m’aide que jà ne serez

(1) Faire. (2) Il inventait les airs et les paroles.