Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/20

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et relevée que celle qu’écoutent nos oreilles. »

Pour qu’aucun ridicule ne lui manquât, même à ses propres yeux, le pauvre Leuwen, encouragé comme on vient de le voir, eut l’idée d’écrire. Il fit une fort belle lettre, qu’il alla jeter à la poste lui-même, à Darney, bourg à six lieues de Nancy, sur la route de Paris. Une seconde lettre n’obtint pas plus de réponse que la première. Heureusement, dans la troisième il glissa par hasard, et non par une adresse dont nous ne pouvons le soupçonner en conscience, le mot soupçon. Ce mot fut précieux pour le parti de l’amour, qui soutenait des combats continus dans le cœur de madame de Chasteller. Le fait est qu’au milieu des reproches cruels qu’elle s’adressait sans cesse, elle aimait Leuwen de toutes les forces de son âme[1]. Les journées ne marquaient pour elle, n’avaient de prix à ses yeux, que par les heures qu’elle passait le soir près de la persienne de son salon, à épier les pas de Leuwen qui, bien loin de se douter de tout le succès de sa démarche, venait passer des heures entières dans la rue de la Pompe.

  1. Laisserai-je cette phrase de femme de chambre ? Oui, pour la clarté.