Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en blanc, il fabriqua une réponse qu’avec la même sagacité qui dirigeait toutes ses pensées depuis une heure, il jugea fort mauvaise. Elle lui déplaisait surtout parce qu’elle n’indiquait aucune espérance, aucun moyen de retour à l’attaque[1]. Tant il y a toujours du fat dans le cœur d’un enfant de Paris ! Cependant, malgré lui et les corrections qu’il y fit en la relisant, elle montrait un cœur navré de l’insensibilité et de la hauteur de madame de Chasteller.

Il revint sur la route pour envoyer son domestique chercher un cahier de papier à Darney et ce qu’il fallait pour écrire. Il écrivit sa réponse, et après qu’il eut envoyé le domestique la porter au bureau de la poste, il fut deux ou trois fois sur le point de galoper après lui pour la reprendre, tant cette lettre lui semblait maladroite et peu propre à amener le succès. Il ne fut arrêté que par l’impossibilité absolue où il se trouvait d’en composer une autre plus passable.

« Ah ! combien Ernest a raison ! pensa-t-il. Le ciel n’a pas fait de moi un être destiné à avoir des femmes ! Je ne m’élèverai jamais au-dessus des demoiselles de l’Opéra, qui estimeront en moi mon cheval

  1. Ton d’un philosophe qui voit de haut. Est-ce bon ? Comme de la niaiserie dans le cœur d’un Allemand.