Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/37

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fois pendant un aussi long temps, Leuwen osait parler devant madame de Chasteller, et à elle-même. Elle lui répondit et, à plusieurs reprises, elle ne put se défendre de sourire en le regardant, et ensuite de lui donner le bras. Il était parfaitement heureux. Madame de Chasteller voyait l’aînée des demoiselles de Serpierre sur le point, tout au moins, de devenir amoureuse de Leuwen.

Il y avait ce soir-là, au café-hauss du Chasseur vert, des cors de Bohême qui exécutaient d’une façon ravissante une musique douce, simple, un peu lente. Rien n’était plus tendre, plus occupant, plus d’accord avec le soleil qui se couchait derrière les grands arbres de la forêt. De temps à autre, il lançait quelque rayon qui perçait au travers des profondeurs de la verdure et semblait animer cette demi-obscurité si touchante des grands bois. C’était une de ces soirées enchanteresses, que l’on peut compter au nombre des plus grands ennemis de l’impassibilité du cœur. Ce fut peut-être à cause de tout cela que Leuwen, moins timide sans pourtant être hardi, dit à madame de Chasteller, comme entraîné par un mouvement involontaire :

— Mais, madame, pouvez-vous douter de la sincérité et de la pureté du sentiment qui m’anime ? Je vaux bien peu sans