Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/31

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Ce discours si bien adressé à une riche bourgeoise, femme riche dont la grand-mère n’avait pas eu de voiture, amusa d’abord Lucien. Mais malheureusement M. de Torpet ne savait pas avoir de l’esprit en quatre lignes, il lui fallait de longues périodes.

« Ce Gascon impudent se croit obligé de parler comme les livres de M. de Chateaubriand », se disait Lucien impatienté. Il dit deux petits mots qui, expliqués à cet auditoire, eussent pu devenir une plaisanterie, mais il s’arrêta tout court. « Je sors de la grande passion : le silence et la tristesse conviennent à la réception que me fait madame Grandet. »

Lucien, obligé de se taire, entendit tant de sottises et surtout vit tant de sentiments bas étalés avec orgueil, qu’il eut le sentiment d’être dans l’antichambre de son père.

« Quand ma mère a des laquais qui parlent comme M. de Torpet, elle les renvoie. »

Il prit en grippe les ornements élégants du petit salon ovale de madame Grandet. Il avait tort : rien n’était plus élégant et moins vaudeville ; sans la forme ovale et quelques ornements gais placés exprès par l’architecte, ce salon délicieux eût été un temple ; les artistes entre eux eussent