Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recevait à cette heure[1]. Il était de bonne heure, trop tôt pour venir chez madame Grandet. Lucien le savait bien, mais il voulait faire acte d’un cœur bien épris. Elle examinait, avec des bougies que l’on plaçait successivement sur tous les points, un buste de Cléopâtre de Tenerani que l’ambassadeur du roi à Rome venait de lui envoyer. L’expression de la reine d’Égypte était simple et noble. Toutes ces figures faisaient des phrases et l’admiraient.

« Elle illumine leur air commun, se dit Leuwen. Toutes ces grosses mines à cheveux grisonnants ont l’air de dire : Oh ! quels bons appointements j’ai ! »

Un député du centre complaisant, attaché à la maison, proposa une poule au billard. Lucien reconnut la grosse voix qui, à la Chambre, est chargée de rire quand, par hasard, on fait quelque proposition généreuse.

Madame Grandet sonna avec empressement pour faire allumer le billard. Tout semblait à Lucien avoir une physionomie nouvelle.

« Il est bon à quelque chose, pensa-t-il, d’avoir des projets, quelque ridicules qu’ils soient. Elle a une taille charmante, et le jeu de billard donne cent occasions de se placer dans les poses les plus gracieuses.

  1. À dix, elle passait dans le grand salon.