Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/342

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À la bibliothèque de Nantes, on a bien voulu me montrer, à moi ignorant, un manuscrit de la Cité de Dieu de saint Augustin, traduite par Raoul de Praesles en 1375. Une miniature fort bien exécutée représente Deux dames et un chevalier jouant aux cartes. Sur quoi, j’ai dit au bibliothécaire d’un petit air pédant : « Les cartes inventées, je crois, en Chine, ne portaient pas d’abord les figures que nous leur connaissons, et dont l’Europe leur fit cadeau vers la fin du quatorzième siècle. Les noms rassemblés de toutes les époques : Hector, David, Lancelot, Charlemagne, montrent la confusion de souvenirs et d’idées qui régnait à la fin du moyen âge. »

Un grand nombre de documents relatifs aux guerres de la Vendée sont déposés aux archives de la préfecture. Si la Restauration avait eu le moindre talent gouvernemental, elle eût envoyé à Nantes quelques officiers d’état-major nés dans le pays. Ces messieurs auraient trouvé dans les papiers de la préfecture deux volumes vrais et intéressants ; et tant de héros royalistes ne seraient pas restés inconnus, carent quia vate sacro.

Au dix-huitième siècle, le génie individuel et la passion n’ont éclaté nulle part avec plus de pittoresque que parmi ces simples paysans qui croyaient venger Dieu.

L’alliance de tant de courage et de tant d’astuce militaire, avec l’impossibilité complète de comprendre les choses écrites, ne s’est jamais présentée à un tel degré dans l’histoire. Mon cicérone donna des soins pendant quelques heures, dans sa maison de campagne, à un Vendéen blessé à mort, qui lui dit que, à son avis, tous les prêtres se ressemblaient, et qu’il ne s’était nullement battu pour plaire à son curé ; mais qu’il ne pouvait souffrir que, par sa loi sur le divorce, la Convention nationale prétendît l’obliger à quitter sa femme qu’il adorait, et que parbleu il ne voulait céder à personne.

    en apprend plus que vingt volumes composés de nos jours. Les notes des histoires de M. Capefigue indiquent de curieux originaux.