Page:Stevenson - Enlevé !.djvu/142

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Il n’y a pas de classe d’hommes qui soit absolument mauvaise ; chacune d’elles a ses défauts particuliers, ses qualités propres, et mes camarades de navigation n’étaient point une exception à la règle. Grossiers, ils l’étaient, sans aucun doute ; mauvais, ils l’étaient, je le suppose ; mais ils avaient bien des côtés excellents.

Ils étaient bons quand cela leur passait par la tête ; ils étaient d’une simplicité à laisser bien loin même celle d’un jeune campagnard comme moi ; ils avaient des éclairs d’honnêteté.

Il se trouvait parmi eux un homme d’une quarantaine d’années qui restait assis des heures entières au bord de ma couchette et me parlait de sa femme et de son enfant.

Il avait été pêcheur et avait perdu son bateau.

Il avait dû, en conséquence, se résigner aux voyages d’outre-mer.

Eh bien, quoiqu’il y ait de cela des années et des années, je ne l’ai jamais oublié.

Sa femme, qu’il « avait eue toute jeune » selon son expression, attendit vainement le retour de son mari ; désormais il n’allumerait point le feu pour elle chaque matin, il ne soignerait plus le marmot quand elle serait malade.

Et en réalité, beaucoup de ces pauvres gens, comme l’événement le prouva, faisaient leur dernière traversée ; les abîmes des mers et les poissons carnassiers les engloutirent, et c’est une laide besogne que de mal parler des morts.

Entre autres actes d’honnêteté qu’ils firent, ils me rendirent mon argent, qu’ils s’étaient partagé.

Et quoiqu’il en manquât environ le tiers, je fus très content de le ravoir, et j’espérais en tirer bon parti dans le pays où j’allais.