Page:Stevenson - Enlevé !.djvu/204

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de fortes vagues, mais qui néanmoins était blanche de bulles, et semblait se couvrir de cercles, se hérisser de pointes brillantes, au clair de lune.

Parfois toute cette surface se déplaçait latéralement, comme la queue d’un serpent vivant, parfois tout cela disparaissait pendant un clin d’œil et le bouillonnement reprenait.

Qu’est-ce que cela signifiait ?

Je n’en avais aucune idée, ce qui pendant quelque temps ajouta à mes craintes, mais maintenant je sais que c’était le ressac qui m’avait porté aussi loin et roulé si cruellement, et qu’enfin, comme las de se jouer de moi, m’avait jeté avec la vergue de rechange vers la terre.

J’étais maintenant tout à fait calmé, et je commençais à sentir qu’on peut mourir aussi bien par le froid que par la noyade.

Les rivages d’Earraid étaient tout près. Le clair de lune me permettait de distinguer les taches de bruyère et les scintillements du mica dans les rochers.

— Eh bien, me dis-je, si je ne pouvais arriver jusque-là, ce serait étrange.

Je n’étais point un habile nageur ; l’eau n’abondait pas chez nous, à Essen, mais lorsque j’eus saisi la vergue des deux bras, et que j’eus lancé quelques ruades, je m’aperçus que j’avançais.

C’était un travail fatigant, et d’une lenteur mortelle, mais après une heure employée à ruer et à barboter, j’étais arrivé entre les rives d’une baie sablonneuse entourée de collines basses.

En cet endroit, la mer était parfaitement tranquille. On n’entendait aucun bruit de ressac. Je crus sincèrement que de ma vie je n’avais vu un endroit aussi désert, aussi désolé. Mais enfin c’était la terre ferme ;