Page:Stevenson - Enlevé !.djvu/49

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raide et compassée de la phrase lui sont venues pendant qu’il dormait, et ce n’est point à lui, c’est aux Alpes qu’il faut s’en prendre. Il n’est peut-être pas le seul, ce qui le console un peu. D’ailleurs le mal n’est pas sans remède. Un jour, quand le printemps reviendra, il descendra un peu plus bas dans ce monde et retrouvera des inflexions plus calmes, un langage plus modeste…

« Est-ce là un retour de jeunesse, ou est-ce une congestion du cerveau ? C’est peut-être une sorte de congestion du cerveau qui porte le malade, quand tout va bien, à affronter le jour nouveau avec une pétillante gaieté. C’est certainement la congestion qui peuple la nuit de visions hideuses, qui hante toutes les chambres d’un caravansérail aux nombreux étages de cauchemars loquaces et fait que, bien des gens, après l’insomnie, paraissent en retard au déjeuner. Au moyen de cette théorie, le cynique peut expliquer toute la chose : entrain, cauchemar, pompe du langage et le reste. Mais, d’autre part, l’état heureux d’adolescence peut aussi être un symptôme de cette même affection, car les deux efforts ont une étrange similitude, et le caractère intellectuel du malade dans les Alpes est une sorte de jeunesse intermittente, avec des périodes de lassitude. La fontaine de Jouvence ne fonctionne pas d’une manière uniforme dans ces endroits ; mais enfin elle y fonctionne, et peut-être elle ne sourd nulle autre part[1].


En dépit de cette nouvelle jeunesse intellectuelle, Stevenson ne produisit que fort peu de choses le premier hiver. Il avait rêvé d’écrire une histoire d’Écosse et n’en écrivit pas une ligne. Quand il était bien, il vivait dehors, courant la campagne avec un chien. Malade, il restait couché. Un matin, au moment où son état passait à l’hôtel

  1. Article dans la Pall Mall Gazette (5 mars 1881), cité par Balfour.