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J’entendis des souliers ferrés se précipiter sur l’échelle du salon. Je compris que les deux ivrognes, faisant enfin trêve à leur querelle, venaient d’ouvrir les yeux à l’étendue de leur désastre.

Quant à moi, je m’étais déjà couché à plat au fond du misérable esquif, n’attendant plus que la mort. À la sortie de la passe, je savais que nous allions à peu près nécessairement nous précipiter sur la ligne des brisants et que j’y trouverais la fin de tous mes maux. Et quoique je fusse peut-être prêt à mourir, je ne l’étais pas à regarder en face l’épouvantable danger sur lequel je courais. Je fermai donc les yeux.

Longtemps j’attendis ainsi la mort, pensant à tout instant la voir arriver, emporté dans une course vertigineuse sur la cime des vagues, trempé jusqu’aux os par des gerbes d’écume. Puis, par degrés, la fatigue eut raison de l’épouvante. Une sorte de stupeur s’empara de moi ; de l’engourdissement je passai au sommeil ; bercé par les flots, je me mis à rêver de chez nous, de ma mère et de l’Amiral-Benbow.


XXIV

LE VOYAGE DE LA PIROGUE.


Il était grand jour quand je me réveillai, pour me trouver flottant à l’extrémité sud-ouest de l’île. Le soleil était déjà au-dessus de l’horizon, mais la Longue-Vue me le cachait encore ; entre la montagne et moi, j’apercevais de hautes falaises. À une portée de fusil, vers ma droite, se dressait le cap de Tire-Bouline et, plus loin, le Mât-de-Misaine : la colline noire et nue, le cap bordé de rochers.

Ma première idée fut naturellement d’empoigner la pagaie et de m’en servir pour reprendre terre. Mais je ne tardai pas à abandonner cette pensée. En avant des rochers, les brisants écumaient et hurlaient ; de soudaines réverbérations, des gerbes d’écume s’élançant dans les airs et retombant à grand bruit, m’avertissaient du péril. Je me vis précipité sur les rochers, déchiré et mis en pièces par l’irrésistible puissance des vagues, ou m’épuisant en vains efforts pour leur échapper.

Et ce n’était pas tout, car, rampant sur les écueils ou se laissant retomber avec fracas dans les flots, je vis d’énormes monstres marins, des espèces de limaces molles et gluantes, d’une taille incroyable, réunis par groupe de trente à quarante et qui remplis-