Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/78

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Sans perdre une seconde, je me dégageai des branches qui m’entouraient, avec aussi peu de bruit que possible, et je me remis à ramper vers la grande clairière. Tout en fuyant, j’entendais les appels du vieux forban et de ses camarades, et il n’en fallait pas plus pour me donner des ailes. Dès que je me vis hors du taillis, je me mis à courir comme je n’ai jamais couru, sans m’occuper de la direction que je prenais, pourvu qu’elle fût en sens contraire de celles des assassins. Et à mesure que je courais, ma peur grandissait au point de devenir une frénésie.

Et en vérité, était-il possible de se trouver dans un plus grand danger ? Au coup de canon de retraite, comment oser rejoindre aux canots ces démons encore fumants de leur crime ? Le premier qui m’apercevrait n’allait-il pas me tordre le cou comme à une bécasse ? Mon absence même ne disait-elle pas mes alarmes et par conséquent mes soupçons ?… C’est fini, me disais-je. Adieu à l’Hispaniola ! Adieu au squire, au docteur, au capitaine ! Il n’y a plus pour moi que la mort, par la faim ou par les mains des révoltés…

Tout en faisant ces amères réflexions, je courais toujours et j’étais arrivé sans m’en apercevoir au pied d’une des collines, dans cette partie de l’île où les chênes verts poussaient moins drus et plus semblables à des arbres de forêt. Quelques pins assez hauts s’y montraient aussi. L’air était plus frais et plus pur qu’en bas, dans le marécage.

C’est là qu’une nouvelle alarme m’arrêta court et me tint immobile, le cœur battant à se rompre.


XV

L’HABITANT DE L’ÎLE.


Un éboulement de gravier venait de rouler soudain au flanc de la colline et rebondissait au milieu des arbres. Mes yeux se tournèrent instinctivement vers le point où il s’était produit, et je crus voir un être vivant se glisser derrière un tronc de sapin. Qu’était cet être ? Un ours, un singe de grande espèce ou un homme ? Je ne pus le déterminer. Il était noir et velu, voilà tout ce que j’eus le temps de remarquer. La terreur, au surplus, me paralysait. Je me voyais perdu sans ressource : derrière moi les assassins, devant moi cet être mystérieux !…

Mon choix ne fut pas long. Plutôt Silver lui-même que cet habitant des bois !…