Page:Stevenson - Le Mort vivant.djvu/19

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timent de ses devoirs (envers lui-même), ce sentiment n’allait pas jusqu’à lui donner le courage de s’attarder entre les quatre murs de son bureau, avec l’ombre de la banqueroute s’y allongeant tous les jours. Après quelques heures d’attente, patron et employés poussaient un soupir, s’étiraient, et sortaient, sous prétexte de se recueillir pour l’ennui du lendemain. Alors, le marchand de cuirs ramenait son capital vivant jusqu’à John Street, comme un chien de salon ; après quoi, l’ayant emmuré dans la maison, il repartait lui-même pour explorer les boutiques des brocanteurs, en quête de bagues à cachets, l’unique passion de sa vie.

Quant à Joseph, il avait plus que la vanité d’un homme, — il avait la vanité d’un conférencier. Il avouait qu’il avait eu des torts, encore qu’on eût péché contre lui (notamment le « capable » Écossais) plus qu’il n’avait péché lui-même. Mais il déclarait que, eût-il trempé ses mains dans le sang, il n’aurait tout de même pas mérité d’être ainsi traîné en laisse par un jeune morveux, d’être tenu captif dans le cabinet de sa propre maison de commerce, d’être sans cesse poursuivi de commentaires mortifiants sur toute sa carrière passée, de voir, chaque matin, son costume examiné de haut en bas, son collet relevé, la présence de ses mitaines