Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 9-10.djvu/135

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Rancé cédait encore, et tous deux, s’abandonnant au torrent de délices qui les entraînait, enivrés d’amour, oubliaient le monde et jusqu’à Dieu même.

M. Hardy écoutait Rodin avec une avidité fiévreuse, dévorante. L’insistance du jésuite à s’appesantir à dessein sur la peinture presque sensuelle d’un amour ardent et caché, ravivait de plus en plus dans l’âme de M. Hardy de brûlants souvenirs jusqu’alors noyés dans les larmes ; au calme bienfaisant où les suaves paroles de Gabriel avaient laissé M. Hardy, succédait une agitation sourde, profonde, qui, se combinant avec la réaction des secousses de cette journée, commençait de jeter son esprit dans un trouble étrange.

Rodin, ayant atteint le but qu’il poursuivit, continua de la sorte :

— Un jour fatal arriva : M. de Rancé, obligé d’aller à la guerre, quitte cette jeune fille ; mais, après une courte campagne, il revient plus passionné que jamais. Il avait écrit secrètement qu’il arriverait presque en même temps que sa lettre ; il arrive, en effet ; c’était la nuit ; il monte, selon l’habitude, l’escalier dérobé qui conduisait à la chambre de sa maîtresse, entre, le cœur palpitant de désir et d’espoir… Sa maîtresse… était morte depuis le matin.