Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 9-10.djvu/137

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tendant la parole de Rodin avec un inexprimable mélange de curiosité, d’angoisse et d’effroi.

— Et M. de Rancé ? dit-il enfin d’une voix altérée, en essuyant son front inondé d’une sueur froide.

— Après deux jours d’un délire insensé, reprit Rodin, il renonçait au monde, il s’enfermait dans une solitude impénétrable… Les premiers temps de sa retraite furent affreux… dans son désespoir il poussait des cris de douleur et de rage qu’on entendait au loin ;… deux fois il tenta de se tuer pour échapper à de terribles visions…

— Il avait des visions ? dit M. Hardy avec un redoublement de curiosité pleine d’angoisse.

— Oui, reprit Rodin d’une voix solennelle, il avait des visions effrayantes… Cette jeune fille, morte pour lui en état de péché mortel, il la voyait plongée au milieu des flammes éternelles ! Sur son beau visage, défiguré par les tortures infernales, éclatait le rire désespéré des damnés… Ses dents grinçaient de rage ; ses bras se tordaient de douleur. Elle pleurait du sang, et d’une voix agonisante et vengeresse, elle criait à son séducteur : « Toi qui m’as perdue, sois maudit… maudit… maudit… »