Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 9-10.djvu/191

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Cette lettre était écrite avec tant d’adresse, qu’en supposant même que les orphelines l’eussent communiquée à leur père ou à Dagobert, ces lignes eussent été tout au plus considérées comme une indiscrétion étrange, fâcheuse, mais presque excusable, d’après la manière dont elle était conçue ; rien en un mot n’était plus perfidement combiné, si l’on songe à la perplexité cruelle où se trouvait placé le maréchal Simon, luttant sans cesse entre le chagrin d’abandonner de nouveau ses filles, et la honte de manquer à ce qu’il regardait comme un devoir sacré. La tendresse, la susceptibilité de cœur des deux orphelines, étant mises en éveil par ces avis diaboliques, les deux sœurs s’aperçurent bientôt qu’en effet leur présence était à la fois douce et cruelle à leur père ; car, quelquefois, à leur aspect, il se sentait incapable de les abandonner, et alors, malgré lui, la pensée d’un devoir inaccompli attristait son visage.

Aussi les pauvres enfants ne pouvaient manquer d’interpréter ces nuances dans le sens funeste des lettres anonymes qu’elles recevaient. Elles s’étaient persuadé que, par un mystérieux motif qu’elles ne pouvaient pénétrer, leur présence était souvent importune, pénible pour leur père.