Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/228

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le comble de l’horreur de voir combien d’années des gens placés autour de lui avaient épié son visage, ses gémissements, ses soupirs les plus secrets ; de penser qu’un aïeul avait pu entendre ces détails, les lire, les produire au grand jour. On en croyait à peine ses oreilles, si les lettres du centurion Aetius et de l’affranchi Didyme n’eussent désigné par leurs noms les esclaves qui, chaque fois que Drusus voulait sortir de sa chambre, l’avaient repoussé de la main, épouvanté du geste. Le centurion répétait même des mots pleins de cruauté dont il faisait gloire. Il citait les paroles du mourant, qui, dans un faux délire, s’était livré d’abord contre Tibère aux emportements d’une raison égarée, et bientôt, privé de tout espoir, l’avait chargé d’imprécations étudiées et réfléchies, souhaitant à l’assassin de sa bru, de son neveu, de ses petits-fils, au bourreau de toute sa maison, un supplice qui vengeât à la fois ses aïeux et sa postérité. Le sénat, par ses murmures, semblait protester contre de pareils vœux mais la peur descendait au fond des âmes, avec l’étonnement qu’un homme, si rusé jadis et si attentif à envelopper ses crimes de ténèbres, en fût venu à cet excès d’impudence, de faire en quelque sorte tomber les murailles, et de montrer son petit-fils sous la verge d’un centurion, frappé par des esclaves, implorant, pour soutenir un reste de vie, des aliments qui lui sont refusés.

Mort d’Agrippine
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Ces impressions douloureuses n’étaient pas encore effacées lorsqu’on apprit la mort d’Agrippine. Sans doute qu’après le supplice de Séjan, soutenue par l’espérance, elle consentit à vivre, puis se laissa mourir, quand elle vit que la tyrannie n’adoucissait point ses rigueurs. Peut-être aussi la priva-t-on d’aliments, pour ménager à l’imposture la supposition d’une mort volontaire. Ce qui est certain, c’est que Tibère éclata contre sa mémoire en reproches outrageants. C’était, à l’en croire, une femme adultère, que la mort de son amant Asinius Gallus avait jetée dans le dégoût de la vie. Mais Agrippine, d’un caractère ambitieux et dominateur, en revêtant les passions des hommes, avait dépouillé les vices de son sexe. Tibère remarqua qu’elle était morte le jour même où, deux ans plus tôt, Séjan avait expié sa trahison ; fait dont il voulut que l’on conservât la mémoire. Il se fit un mérite de ce qu’elle n’avait été ni étranglée ni jetée aux Gémonies. Des actions de grâces lui en furent rendues, et on décréta que le quinze avant les calendes de novembre, jour où Agrippine et Séjan