Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/21

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héroïque des peuples et des rois. Mais qu’importe ? Réduisez l’épopée à la mesure d’une querelle de clocher. Armez les pasteurs d’ouailles contre les garçons de fournil et vous aurez une représentation exacte des intérêts, des vertus, des vices et des appétits que la guerre met en jeu. Que ce soient deux hameaux ou deux royaumes, quelques rustres ou la fleur des chevaliers, quand l’armure s’écroule, quand le cimier se détache et que le vain orgueil de la parade militaire tombe comme un déguisement superflu, que reste-t-il en présence, à l’heure où finit le combat ? Deux hommes qui, tous deux, ont cherché à donner la mort et dont le plus robuste ou le plus heureux a trempé les mains dans le sang de son frère, pour contenter une misérable envie, un désir aussi puéril qu’il est odieux.

« On ne fait la guerre que pour voler, disait Voltaire », et c’est pourquoi Rabelais met sur le même plan, dénigre avec un mépris égal, empereur et berger, mitrons et conquérants, Pichrochole et Charles-Quint, le capitaine Merdaille et François Ier.

Au xviie siècle, dans la belle ordonnance de Versailles, nulle voix ne proteste contre la Guerre, ne marchande aux héros les palmes et les lauriers. Le commandement des armées n’est-il pas, en effet, un geste monarchique, ou pour mieux dire, la fonction primordiale, essentielle au roi ? Louis XIV a des généraux pour faire ses victoires, des poètes pour les célébrer :

Grand roi, cesse de vaincre ou je cesse d’écrire.


des peintres pour en fixer le détail sur des toiles infinies. Van der Meulen tient au bout de ses pinceaux le journal des campagnes de Flandre, tandis que Lebrun représente hardiment le vainqueur de Namur, sous le harnais d’Alexandre, parmi les encensements de Babylone ou, d’un geste magnanime, pardonnant à la veuve de Darius. Un sculpteur va plus loin dans la flatterie. Il déshabille en Hercule, devant la porte Saint-Martin, le fils d’Anne d’Autriche, lui met au poing la massue et la peau de lion à l’épaule, si bien que Paris admire encore à présent le Roi Soleil plastronnant sur les boulevards sans le moindre linge, mais coiffé d’une perruque à trois marteaux.