Page:Tailhade - Quelques fantômes de jadis (1920).djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


« Au bord du ruisseau croit un saule qui mire ses feuilles grises dans la glace du courant. Avec ce feuillage, elle avait fait une fantasque couronne de renoncules, d’orties et de marguerites et de ces longues fleurs pourpres que des bergers licencieux nomment d’un nom grossier, mais que nos froides vierges appellent « doigts d’hommes morts ». Alors, comme elle grimpait pour suspendre la sauvage couronne aux rameaux inclinés, une branche envieuse s’est cassée, et tous ces trophées champêtres sont, comme elle, tombés dans le ruisseau en pleurs. »


Ainsi parle Gertrude, annonçant à Laërte la mort d’Ophélie. C’est la funèbre et suave idylle que Charles Cros a tenté de redire après elle, dans ce Nocturne navrant et doux comme une page de Chopin :


Bois frissonnant, ciel étoilé,
Mon bien-aimé s’en est allé
Emportant mon cœur désolé.


Bois, que vos plaintives rumeurs,
Que vos chants, rossignols charmeurs,
Aillent lui dire que je meurs !...