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2 avril 1864, de Rome à Pérouse.


Départ de Rome à cinq heures du soir ; je n’avais pas encore vu celle portion de la campagne romaine, et je ne la reverrai jamais pour mon plaisir.

Toujours la même impression : c’est un cimetière abandonné. Les longs tertres monotones se suivent en files interminables, pareils à ceux qu’on voit sur un champ de bataille, quand on a recouvert les grandes tranchées où sont entassés les morts. Pas un arbre, pas un ruisseau, pas une cabane. En deux heures je n’ai aperçu qu’une hutte ronde à toit pointu, ; comme on en trouve chez les sauvages. Même les ruines manquaient ; de ce coté, il n’y a point d’aqueducs. De loin en loin, on rencontre un char à bœufs ; tous les quarts de lieue, un chêne-vert rabougri hérisse au bord du chemin son feuillage sombre ; c’est le seul être vivant, un traînard morne oublié dans la solitude. L’unique trace de l’homme, ce sont les barrières qui bordent la voie et de long en large traversent la verdure onduleuse pour contenir les troupeaux au temps du pâturage ; mais en ce moment tout est vide, et le ciel arrondit sa divine coupole avec une sérénité douloureuse et ironique au--