Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/117

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fondée scientifiquement. À cet égard, il y a à formuler de très sérieuses réserves, ce que nous ferons plus loin.

On connaît enfin le système d’Herbert Spencer, la loi du rhythme, de l’intégration et de la désintégration successives ; l’évolution du monde, de sa naissance à sa mort, s’accomplit dans le cours d’une période après laquelle doit nécessairement recommencer une nouvelle évolution. Ce serait le retour pur et simple de la science moderne à l’hypothèse d’Anaximandre[1], si les conceptions du grand penseur anglais ne portaient pas sur un univers démesurément agrandi par rapport à celui des anciens, si, par suite, un stade de l’évolution ne pouvait s’accomplir pour notre monde, tandis que le stade inverse s’accomplit pour un autre système stellaire, en sorte que, pour l’ensemble total, les évolutions partielles pourraient ne point apporter de changement appréciable.


11. Ainsi, sur cette grave question de l’origine et des destinées du monde, la philosophie se trouve, depuis sa naissance, ballottée entre la thèse d’Anaximandre et l’antithèse de Xénophane ; car la croyance à une création n’a d’importance qu’au point de vue religieux, et la récente doctrine de l’entropie n’est pas assise sur des fondements scientifiques suffisants.

Au reste, la thèse et l’antithèse sont d’accord pour reconnaître comme indéfinie dans le passé et dans l’avenir la succession des phénomènes, et la divergence porte sur l’importance plus ou moins considérable des variations qui affectent l’ordonnance générale de l’univers. Aujourd’hui, la science paraît prêter surtout son appui à l’opinion qui attribue à ces variations la plus grande étendue que l’on puisse concevoir ; elle semble ainsi, ou bien conduire à substituer, à l’idée de l’éternité dans la stabilité, celle de l’éternité dans un changement s’accomplissant toujours dans le même sens, celui de l’entropie, ou bien, plutôt, assurer la prédominance de l’opinion d’Anaximandre, rajeunie sous l’épithète d’évolutionniste. Ce serait aujourd’hui un paradoxe que de soutenir l’éternité du monde sous sa forme actuelle ; mais les arguments qui se dresseraient contre ce dogme antique de Platon, ont été en réalité accumulés contre la croyance à une création et il n’y a point à se faire illusion sur la valeur des preuves ainsi apportées au système

  1. On a pu de même remarquer, dans les opinions du Milésien, une grossière ébauche de la doctrine de l’évolution des êtres vivants.