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III. — Xénophane physiologue.

8. Les deux divergences que nous venons de signaler, entre Anaximandre et Xénophane, pour ce qui concerne les attributs de l’Univers, sont évidemment capitales. Aussi n’avons-nous point à nous étendre sur leur importance, mais plutôt sur leur origine et leurs motifs.

Pour l’éternité, il n’y a pas de difficulté ; c’est, pour Xénophane, la conséquence logique de la polémique qu’il soutient contre les croyances religieuses du vulgaire et que nous avons essayé de caractériser. Le ciel d’Anaximandre, qui est né et qui mourra, ne peut, certes, pas mieux le satisfaire que l’Ouranos d’Hésiode ; il remonte au principe, à l’infini inengendré et indestructible ; il lui transfère la vie : voilà le dieu qu’il faut à sa pensée.

Mais, quant à l’attribut de l’immobilité, la question, que nous avons préjugée jusqu’à présent par l’énoncé de la conséquence, est, en réalité, obscure dans ses motifs. Xénophane a-t-il simplement jugé que cet attribut convenait mieux à la divinité, ou est-ce bien réellement parce qu’il considérait l’univers comme infini qu’il en a nié le mouvement révolutif ? Attribuait-il donc un sens précis à l’infinitude de l’univers ? Avait-il sur ce point une doctrine constante ?

La solution est d’autant plus difficile que les témoignages de l’antiquité se trouvent en contradiction formelle. À la vérité, si l’on se bornait aux renseignements sur la façon dont Xénophane se représentait le monde, il n’y aurait pas de doute ; l’univers serait infini, et le mouvement général de révolution en serait exclu par la même. Mais sur cette question même de l’infinitude, un seul auteur, Nicolas de Damas, paraît, dans l’antiquité, s’être prononcé dans le sens que nous indiquent cependant les fragments authentiques de Xénophane. Les autres sources qui ne dérivent pas de cet auteur, prétendent ou qu’il a cru à la limitation du monde, ou qu’il ne s’est pas prononcé, ou encore qu’il a soutenu le pour et le contre.

Avant d’entreprendre toute discussion à ce sujet, il convient d’étudier ce que vaut, en réalité, comme physicien, le poète de Colophon. Quand nous l’aurons apprécié, nous pourrons mieux juger de l’importance à attribuer à la divergence des témoignages relatifs à la question controversée.