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chapitre vi. — anaximène.

choses, ne peut être la révolution diurne, et il se le représente plutôt comme un mouvement de va-et-vient. Mais sa raison décisive est précisément qu’il considère, lui aussi, la matière d’Anaximène comme illimitée ; or c’est ce que nous mettons en question.

S’il n’y a pas de texte absolument probant pour la thèse de Teichmüller, il est hors de conteste qu’Anaximène croyait à la réalité de la révolution diurne, puisqu’il considérait le ciel comme une voûte solide à laquelle les étoiles étaient attachées (9). Que dès lors il crût cette révolution éternelle, c’est de toute probabilité ; car c’était déjà l’opinion d’Anaximandre, et s’il l’avait rejetée, il lui eût fallu expliquer l’origine de cette révolution. Enfin, quoi qu’en dise Zeller, le texte d’Aristote (De cœlo, II, 43, p. 295 a) n’est certes pas insignifiant.

Le Stagirite dit que tous ceux qui font naître le ciel font arriver la terre au centre par l’effet de la révolution. Il n’en résulte certainement pas que celle-ci préexistât, pour ces physiologues, à la formation de la terre. Mais le nœud de la question n’est pas là.

Si Anaximène admettait et la révolution comme actuelle et l’infinitude de la matière, que faisait-il de l’air au delà de la sphère céleste ? Une substance inerte ? C’est en contradiction formelle avec les textes ; s’il lui attribuait un mouvement, il ne pouvait le regarder comme ayant quelque influence sur notre monde ; il n’eût pu s’en servir que pour constituer une infinité d’autres mondes semblables, comme dans la doctrine des atomistes, dont on ne peut pourtant pas le regarder comme le précurseur à cet égard.

Que d’ailleurs, dans le passage cité d’Aristote, les deux physiologues milésiens soient particulièrement visés, et qu’ainsi la prépondérance attribuée par eux au phénomène de la révolution diurne soit bien constatée, cela ne peut être sérieusement mis en doute. Zeller soutient bien que le mot tous ne peut être tellement pris à la lettre qu’on l’applique individuellement à tous les philosophes qui ont admis une naissance du monde. Encore devrait-il spécifier de qui, à son avis, veut parler Aristote. Il est clair que celui-ci désigne seulement les physiciens qui ont cherché à expliquer mécaniquement l’origine du ciel et que par là les pythagoriens, Héraclite et Platon se trouvent naturellement exclus. Il est donc inutile de les citer pour essayer d’exclure aussi Anaximène.


2. Ainsi, pour ce dernier, la doctrine de l’infinitude de la matière eût présenté les mêmes difficultés que pour Anaximandre.