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scientifiques, l’explication mécanique de l’univers pour mettre en lumière le côté divin des choses, le rôle de l’intelligence dans la nature. Il entr’ouvre le sanctuaire où Pythagore s’était enfermé ; après le Samien, c’est lui qui, le premier, fait école et cette école est libre ; c’est lui qui lègue aux philosophes et les problèmes dont on fera honneur à Anaxagore ou à Socrate, et cette allure mystique qui s’imposera plus ou moins à tous ceux qui tenteront d’agiter ces problèmes.

Obscurcie un moment par l’éclat que jetteront Platon et Aristote, son œuvre reparaîtra bientôt pour former le fonds essentiel de la doctrine du Portique. Les stoïciens élaboreront son concept du logos et, à l’aurore des temps nouveaux, il se trouvera mûr pour être adopté par le christianisme[1].

4. Quand il descend sur le domaine propre de la physique, Héraclite conserve son langage obscur et ses formules mystérieuses, mais l’inspiration qu’il puisait dans sa connaissance des choses divines ne le soutient plus ; au fond, il se comporterait comme un simple rationaliste modéré, si la science de la nature le préoccupait réellement. Rejetant les traditions poétiques, les hypothèses des physiologues, les préjugés du vulgaire, il s’attache au « logos commun », à la raison qui éclaire tout homme venant en ce monde, quoique la plupart la méconnaissent. C’est cette raison qui lui fait reconnaître immédiatement la loi suprême du monde dans l’unité de la substance, qui lui enseigne directement que le but de la sagesse est de chercher comment cette loi gouverne l’univers.

Il désignera bien ce but comme dépassant, dans sa plénitude, les forces de l’humanité, comme ne pouvant être que partiellement atteint par un acte de foi ; mais il ne se propose nullement de construire sa physique a priori. Il admet les sens comme guides, à la condition d’interpréter leurs témoignages suivant la raison.

À quel point sa tentative fut insuffisante, nous l’avons vu ; pour le moment attachons-nous seulement aux diverses acceptions qu’il donne à ce terme de « logos », de raison, qu’il a préparé à son rôle futur. Tantôt (fr. 1) le sens est abstrait et en même temps

  1. Le rapprochement entre la doctrine d’Héraclite et le début de l’Évangile selon Saint-Jean était déjà fait par un disciple de Plotin, Amélius (Eusèbe, Prép. év., 540 b) ; l’analogie des formules est notablement singulière dans le fragment 1. Héraclite a aussi fourni à la Gnose un autre terme, celui d’Éon (fr. 44), sans compter le mot même qui la désigne.