Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/192

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Ce dieu universel qu’on adore sous mille et mille formes, est certes bien plus voisin de Phtah, le roi suprême de Memphis, « qui accomplit toutes choses avec art et vérité » (Jamblique, De myst., VIII, 3), que du boiteux Héphaistos des Grecs. Les métaphores d’occultation, mort, sommeil, extinction et celles opposées d’apparition, vie, réveil, etc., que prodigue Héraclite pour caractériser les phénomènes contraires et qui correspondent chez lui aux concepts aristotéliques de puissance et d’acte, se retrouvent également à chaque page du Livre des Morts, à chaque ligne des hymnes de l’Égypte.

8. Le flux perpétuel des choses est la conséquence inéluctable du principe de l’unité de la matière ; Héraclite n’a pas inventé ce dogme, il n’a fait que le développer en le défendant contre Xénophane. Il n’y a dès lors rien d’étonnant qu’on le retrouve, soit en Égypte, soit dans la bouche de l’Éphésien. Mais l’image de la guerre éternelle et nécessaire pour l’harmonie du monde, qui constitue chez Héraclite une formule beaucoup moins attendue (fr. 37, 38, 39), semble venir des bords du Nil, où Hor renouvelle sans cesse la lutte contre Set, toujours vaincu, jamais anéanti.

Le célèbre fragment 44, dont Lucien fournit la forme la plus complète : « L’Éternel est un enfant jouant, manœuvrant des pions, en hostilité, » n’a reçu des anciens (Philon, Plutarque) qu’une explication insoutenable, attribuant au Logos, au seul être sage suivant Héraclite, le caprice de faire et défaire au hasard. Zeller se satisfait à tort de cette explication qui, des trois mots παῖς, παίζων, πεττεύων, néglige complètement le dernier. Teichmüller a résolu l’énigme d’une façon beaucoup plus plausible. L’enfant est Harpechrond, le soleil à son lever ; παίζων vient par un jeu de mots qu’appelle παῖς ; πεττεύων détermine l’occupation. Le jeu que joue cet enfant est un jeu de combinaisons intelligentes et nullement de hasard, analogue à notre jeu de dames et d’ailleurs emprunté par les Grecs aux Égyptiens. Ce jeu est là le symbole de la guerre que mène sans fin le feu toujours vivant contre la matière ténébreuse sortie de son sein.

Âme du monde, le feu anime chaque homme en particulier et Héraclite donne même à la psyché le synonyme d’αὐγή, comme si elle était susceptible de devenir lumineuse. On dirait qu’il traduit l’égyptien khou (intelligence) dont le sens primitif est « brillant ». D’ailleurs, suivant les croyances égyptiennes, l’intelligence, avant